La célébration des dix ans d’Arterial network a été mise à profit par le réseau pour accueillir l’économiste Felwine Sarr. Ce dernier considère la culture comme le levier le plus fécond pour transformer nos sociétés. Entretien
AfriCulturelle : Culture et imagination du renouveau en Afrique c’est le thème que vous avez abordez lors de votre communication. Pouvez-vous nous faire une synthèse des idées développées ?
Felwine Sarr : L’idée était de réfléchir autour de la culture et des imaginaires du renouveau. Généralement, on a le sentiment que dans nos sociétés, dans nos espaces, tout se décide dans l’espace du politique, que les défis qui sont les nôtres on doit d’abord les résoudre dans cet espace. Ce que j’affirme comme thèse c’est que le régime politique est important pour gérer la cité mais la culture me semble le levier le plus fécond et le plus primordial puisque tout un ensemble de processus de transformation relève d’abord des attitudes, des comportements, de la psychologie collective, de l’image de soi, des représentations de soi, de sa vision de citoyen et il me semble que ce travail-là, c’est un travail que les éléments culturels font d’abord et que le fondement de la transformation sociétale c’est d’abord la transformation des individus, la reconstruction de leurs infrastructures psychiques, de l’estime d’eux-mêmes, de la vision qu’ils ont de leurs rôles dans le champ sociétal, des fins qu’ils se donnent et qu’ils donnent à l’aventure collective, des significations qu’ils donnent à ces fins-là. Et si on conçoit la culture comme un espace de production d’abord de sens et de signification, c’est pour moi le premier espace de travail. Ce que j’ai voulu dire que le renouveau ne vient que si on fait un travail sur les imaginaires de soi-même. La manière la plus puissante de faire un travail sur les imaginaires, c’est les productions culturelles qui offrent cela : la littérature, la musique, le cinéma, les arts visuels qui sont des arts qui nous représentent, qui sont des arts qui anticipent, qui projettent, qui nourrit nos rêves. Tous ces espaces de production artistique sont des espaces de proposition d’imaginaires. Rien ne vient dans le réel concret s’il n’a déjà fait son chemin dans les esprits des individus et dans les imaginaires des individus. Si on délaisse ce genre d’espaces là, on conçoit que seul le politique est producteur de renouveau et de changement, c’est une erreur qu’on fait. Donc on peut avoir une lecture du discours artistique comme productions culturelles, productions économiques, mais on peut avoir un discours comme espace de projets. Et si la société elle a envie de se renouveler, de se réinventer, c’est d’abord dans les arts et les cultures qu’elle le fait.
A.C : Mais on le voit comme si c’était réservé à une certaine Elite.
FS : Non justement. En répondant à une interrogation, on a un biais. Lorsqu’on dit culture, on conçoit culture universitaire, académique et artistique. Mais si on a une définition de la culture comme étant une manière d’explorer la réalité dans ces profondeurs, tout est culture : le langage est culture, toutes les productions linguistiques sont cultures, la culture populaire c’est de la culture, toutes les croyances collectives sont de la culture… Et si nous avons une vision large de la culture, nous nous rendons compte que les individus quotidiennement produisent de la culture y compris dans les blagues, dans la manière de nommer les choses. Et si nous avons une vision large de la culture, nous nous rendons compte que la culture élitiste est une des dimensions mais celle qui émeut profondément les populations c’est ce qu’on appelle la culture populaire. Et la culture populaire elle s’exprime dans tout : dans le langage, les contes, dans la manière de nommer les choses. Et là-bas aussi c’est un espace duquel nous devons être à l’écoute, entendre ce qu’il dit, parce qu’il dit quelque chose et réfléchir à la manière d’installer dans cet espace là des propositions de renouveau et de renouvellement et des propositions émancipatrices.
A.C : Est-ce que cette perception que vous avez de la culture, vous avez pu voir en Afrique des structures qui ont réussi à créer ce lien, à faire en sorte de réunir le maximum de personnes autour de l’idéal que vous prônez ?
F.S : Je ne les ai pas encore vu ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existe pas. Mais je pense profondément que c’est un espace que nous devons explorer. J’aime bien cette idée de la culture élitiste. Que l’essentiel de nos groupes sociaux sont mus par des référents culturels, par des dynamiques culturels qui nous échappent, sur lesquels nous devons entrer en dialogue et en travail. Je pense que le théâtre qui est le premier des arts dit populaires sont des arts « les intellectuels doivent investir » et ne pas les regarder de haut. Ils doivent considérer que là bas, il y a quelque chose de fondamental qui se joue et que nous ne changerons pas nos sociétés si nous n’agissons pas sur les vraies dynamiques. Justement, l’un des risques c’est que nous soyons déconnectés et que nous soyons justes dans une culture qui concerne une minorité et qui concerne une élite.