Sœur Oyo est sa dernière production : Une fiction qui nous ramène dans le passé du Congo belge. Monique Mbeka Phoba est une adepte du documentaire qu’elle considère comme une grande école du cinéma. Elle s’en sert pour parler de sujets relatifs à l’histoire de son continent, son pays voire même sa famille. Une nécessité parce que le silence sur certains sujets comme ceux relatifs à la colonisation belge en République Démocratique du Congo sont nuisibles. Entretien
Vous êtes la réalisatrice de Sœur Oyo, votre première fiction, un court-métrage. Pourquoi avoir attendu maintenant pour vous lancer dans ce genre ?
J’ai toujours aimé le documentaire, qui est un genre très respecté en Belgique, où existent de grands noms du documentaire comme Henri Stork ou Manu Bonmariage. Grandissant en Belgique, j’en voyais régulièrement à la télévision à des heures de grande écoute, dans des émissions qui avaient beaucoup de succès. Ce n’était pas du tout un genre minimisé comme dans d’autres pays. N’ayant pas fait d’écoles de cinéma, j’ai eu pour formation un stage de documentaire de 3 mois aux Ateliers Varan, à Paris, et j’en ai fait naturellement. Je trouve que cela me sert beaucoup dans la fiction, le fait d’en avoir fait. Cela me donne beaucoup d’intuitions, au moment d’aborder la réalité des êtres et des psychologies. Le documentaire est pour moi une grande école du cinéma et je continuerai d’en faire certainement.
De votre point de vue, y a-t-il une différence entre l’élaboration d’un documentaire et d’une fiction ?
Je ne trouve pas en fait.
Sœur Oyo parle d’une époque que vous n’avez pas vécue mais qu’on vous a racontée. Ce court-métrage interroge le passé colonial à travers le quotidien des écoliers dans un pensionnat catholique de Mbanza-Mboma, dans l’ouest de la RD Congo, alors Congo belge. Pourquoi vous avez senti le besoin de mettre ce sujet à l’écran ?
Née en 1962, donc deux ans après l’indépendance, je me suis rendue compte à quel point cette période coloniale a aimanté toute ma vie, de façon souvent inconsciente. Cette période est désormais taboue, aussi bien pour les Belges que les Congolais, mais les traces qui en restent sont innombrables et influencent nos vécus comme nos psychologies. Au lieu de faire comme si elle n’avait jamais existé, je préfère désormais la connaître du mieux que je peux. Même si ce n’est pas évident. Afin de déterminer comment mon histoire en a été influencée et comment aussi l’histoire qui a précédé cette période coloniale reste aussi présente en moi. A l’âge de la maturité, cette démarche a été pour moi absolument nécessaire.
Née en Belgique, c’est à 13 ans que votre grand-père vous a invitée à venir voir un peu du côté des ‘’ancêtres’’ ce qu’il y a à tirer en termes de connaissance. Alors j’aimerais savoir, quel était votre état d’esprit ?
D’abord, j’ai eu la chance d’aller régulièrement au Congo durant toute mon enfance. Il n’y a donc pas eu la découverte d’un pays que je ne connaissais pas au moment où mon grand-père, qui m’avait vue grandir d’ailleurs, m’a parlé. J’ai d’ailleurs vécu de façon permanente au Congo, entre mes 9 et mes 11 ans, quand mon père y a travaillé dans les ministères. Et je me souviens parfaitement de tout ce que j’y ai vécu et qui m’a durablement marquée. Ensuite, mon père étant ambassadeur dans différents pays, on retournait au pays au moment des vacances. Et chaque fois, c’était fabuleux ! Effectivement, à 13 ans, mon grand-père paternel, qui était un sage de la palabre, au village, a voulu me faire ce message. J’ai compris qu’il savait qu’il me voyait pour la dernière fois. Les vieux savent ce genre de choses. Il a dû m’observer et décider que j’étais mûre qu’il me fasse ce message avant de quitter cette vie. Je lui suis reconnaissante de n’être pas parti sans me laisser ce legs important, cet héritage. Quelque chose qui m’a fait comprendre qui il était et donc qui j’étais. J’essaie à mon tour de le transmettre dans mes films et ma manière de vivre et de côtoyer les jeunes générations.
Cette rencontre a, d’une certaine manière, nourri votre filmographie qui est dans le registre historique et identitaire. Votre démarche a-t-elle tout de suite été comprise et acceptée ?
J’ai eu tellement de grandes influences familiales qui ont nourri mon parcours. Cet échange avec mon grand-père paternel n’a pas été ma seule inspiration. J’ai été très marquée en premier lieu par mon père. Puis, par ma mère, mes 2 grands-pères, ma grand-mère paternelle, plusieurs de mes tantes maternelles… Ma famille a été très surprise au départ, par ma démarche cinématographique, surtout par le fait que je racontais des épisodes de la vie de la famille dans mes documentaires et qu’ensuite, ils étaient reconnus dans la rue, à la suite de la diffusion à la télévision. Mais, cela les amusait aussi de devenir de la sorte presque des vedettes de cinéma ! Je me rends compte que beaucoup de gens au Congo ont vu mes films : le film sur les Léopards sélectionnés à la Coupe du Monde de Football en 1974, qui a été co-réalisé avec Guy Kabeya Muya, a marqué énormément de jeunes, qui découvraient ce grand chagrin national et même panafricain, sur lequel les parents ne savaient pas toujours mettre des mots… Mon film sur mon grand-père assistant médical pendant la colonisation faisait découvrir la caste des évolués, qui est toujours une référence pour nous, dans nos familles, même si c’est de façon très ambiguë. Sœur Oyo, mon premier court-métrage de fiction, en sus du souvenir qu’il évoquait pour de nombreuses générations de Congolais, a eu un effet très étonnant. Il a fait venir à moi un public d’enfants et de petits-enfants de colons belges à la recherche de leur histoire, dont on ne parle pas dans les familles belges au même titre qu’on en parle pas ou peu dans les familles congolaises. Pour revenir à ma famille, mes films permettent aux jeunes de connaître l’histoire de notre famille, de cette génération de l’indépendance dont sont issus nos parents. Cela leur permet de s’équilibrer psychologiquement. Aujourd’hui, je sais que toute ma famille est très fière de moi. Ils ne me le disent pas de façon ouverte, mais je les sens autour de moi, à la manière dont ils me soutiennent, car j’ai régulièrement des moments de passage à vide, de désespoir, comme ce métier ne nourrit pas son homme (ou sa femme). Je sens qu’ils m’aiment, me respectent, sont fiers de moi. Comme mes compatriotes congolais et belges aussi. Comme tellement d’Africains. C’est mon vrai paiement pour des années de sacrifices.
Sur le plan historique, vous attachez une grande importance à l’histoire Belgo – congolaise qui semble être méconnue, voire totalement occultée. Qui est responsable de cette situation de votre point de vue d’observatrice ?
Nos pays ne se soucient pas beaucoup de leur histoire. Les politiciens son pris dans les urgences de l’heure : les prochaines élections, leur standing, leurs rivalités politiques… L’importance d’édifier un roman national et d’inviter pour ce faire des artistes et des intellectuels, n’est jamais pour eux une grande priorité. Du côté des ex-pouvoirs colonisateurs, mais pour des raisons différentes, ce n’est pas une priorité non plus. C’est la société civile qui devrait s’élever et exiger la fin de l’omerta, car omerta, il y a. Personne ne sort gagnant de tes silences. L’ignorance est un poison pour tout le monde.
Quels sont les prochains chantiers de Monique ?
J’ai beaucoup de projets, qui ne sont pas encore financés. Je n’en parlerai que quand l’un d’eux aura une chance de voir le jour. Aujourd’hui comme hier, le manque terriblement de soutiens et de facilités, tant pécuniaires qu’institutionnels, continue à terriblement handicaper la mise en oeuvre de mes projets.