Babacar Mbaye Diop président de la section Sénégal de l’Association des Critiques d’Art a pris part à la 5e édition de la Biennale de Lubumbashi. Il nous parle de son coup de cœur : l’artiste plasticienne Géraldine TOBE de Kinshasa
La cinquième édition de la Biennale de Lubumbashi a lieu du 07 octobre au 12 novembre 2017 sous le feu de l’« éblouissement ». Toma Muteba Luntumbue, artiste-plasticien et historien d’art et directeur artistique de cette édition, a emprunté le terme « éblouissements » au sociologue gabonais Joseph Tonda dans son ouvrage L’impérialisme post colonial. Critique de la société des éblouissements publié en 2015.
L’auteur y propose la notion d’« éblouissements » pour dresser le portrait de la société post-coloniale et de la globalisation capitaliste. À travers ce thème, Toma Muteba veut évoquer « les émerveillements, séductions, fascinations, illusions, aveuglements propres à notre système-monde actuel ». Le Musée National de Lubumbashi, l’Institut des Beaux-arts, la Halle de l’Étoile, le Hangar Picha et les Ateliers Picha sont investis par des artistes internationaux et nationaux.
Cette année, un dispositif de résidences nommé Rencontres Picha est mis en place où dix jeunes artistes congolais œuvrant dans de diverses disciplines ont présenté leurs travaux. Parmi ces artistes, Géraldine TOBE. Ses œuvres sont éblouissantes.
Après deux ans à l’Académie des Beaux-Arts (niveau lycée) de Kinshasa de 2007 à 2012, elle fait ses humanités artistiques de 2012 à 2014 à l’Institut Supérieur Beaux-Arts de la même ville. Étudiante, elle se rend compte très vite qu’à l’Académie les professeurs apprenaient toujours aux étudiants de peindre comme eux ou comme leurs maîtres. Les étudiants étaient ainsi dans une logique de copieurs. Géraldine trouve que l’art n’évolue pas très bien dans son pays car les artistes font toujours la même chose. Elle cherche alors à mettre fin à cette monotonie qui caractérisait l’art congolais.
Dans l’art, me rappelle-t-elle, il y a les copieurs et les créateurs. Géraldine veut être créatrice. Et elle pense que la meilleure solution est de tuer le maître pour se libérer de ses chaînes. Elle en a marre de faire comme tout le monde et elle doit trouver sa propre voie ou arrêter de faire de la peinture. Elle décide alors, sur un coup de tête, de bruler tous ses tableaux de peinture.
Elle observe longuement la fumée qui se dégage et les toiles qui se consument. Elle s’interroge alors sur la fumée. Tel Prométhée volant à Héphaïstos et à Athéna la connaissance des arts avec le feu pour donner à l’homme le moyen de se conserver, Géraldine pense qu’elle peut utiliser la fumée dans de nouvelles créations. Nous sommes en 2012 et depuis lors elle fait de l’art avec la fumée. Plus de peintures et de pinceaux, elle jette tout à la poubelle.
Géraldine invente ainsi sa propre technique. Elle commence d’abord par coller des papiers blancs sur la toile et sur lesquels elle dessine. Puis elle les enlève de la toile et découpe les parties dessinées. Elle les remet ensuite sur la toile, met le tableau à l’envers et allume une lampe à pétrole. Avec l’aide de cette lampe, elle dessine les formes qui sont sur les papiers. Le feu et la fumée de la lampe brulent la toile. Une fois qu’elle passe la lampe sur les formes des différents dessins et qu’avec une bougie elle fait les dernières finitions, elle enlève les papiers et elle retourne la toile. L’œuvre est prête, elle peut maintenant la montrer au public.
Une technique particulière. Ses œuvres sont audacieuses. Elles impressionnent. Géraldine fait de l’art intelligent. Elle parle de son enfance, de la société congolaise, de la situation politique de son pays, de la misère sociale, de la corruption, de la discrimination faite aux femmes africaines, etc. Son œuvre véhicule un message universel. Elle est comme ce choc qui m’ébranle quand je suis ému.
Les tableaux Géraldine n’imitent pas le réel. Ils ne cherchent pas à reproduire un paysage, ni un visage ou une scène de vie, mais tendent plutôt à décrire plastiquement une vision intérieure. Plus exactement, Géraldine ne représente pas, elle présente.
Elle a participé à plusieurs expositions internationales parmi lesquelles : « Sang couleur » avec Jean Kamba à Antananarivo et au Festival Mur Mur à Ouagadougou en 2017, Ségou’art en 2016 où elle remporte le premier prix du Ministre de la culture et des arts du Mali, à Louvain La Neuve en Belgique en 2015. Elle a remporté le Prix de l’atelier résidence par l’Asbl Au fil de la terre en Belgique en 2014 et est lauréate du prix spécial de l’ONU pour la femme en 2015.
Lubumbashi, le 11 octobre. 01h43
Babacar Mbaye DIOP
Critique d’art, sociétaire AICA International
Commissaire indépendant