La Fédération africaine sur l’art photographique, dans le cadre des préparatifs de la prochaine biennale Dak’Art, a organisé une conférence. Elle était animée par l’enseignant et critique d’art Babacar Mbaye Diop, qui a décrypté le thème du Dak’Art 2020 ‘’Ĩ Ndaffa’’. Entre incohérences dans le texte de présentation et inexactitude dans l’orthographe du mot choisi, le critique d’art dissèque tout.
‘’Je sais que j’ouvre là un débat. Mais je souhaite qu’il soit un débat constructif et non polémique ou passionné’’, prévient-il. Enseignant à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le Pr. Babacar Mbaye Diop a totalement raison de faire cette mise en garde. Les remarques qu’il fait sur la thématique ‘’Ĩ Ndaffa’’, choisie pour la prochaine édition de la Biennale de Dakar, ne plairont pas au directeur ou à la directrice artistique de ladite session. C’est sûr. A moins que l’erreur se trouve dans l’orthographe du texte rendu public.
‘’’Ĩ Ndaffa’’ serait tiré du sérère et signifierait ‘Forger’. Seulement, a relevé Babacar Mbaye Diop, ‘I Ndaffa’ n’existe pas dans le sérère référentiel (celui du Sinig-Mbey (Sine-Saloum) codifié, car il existe aussi d’autres dialectes sérères tels que le sérère noon, le sérère safen et le sérère ndut). D’après le docteur Mame Birame Ndiaye (sociologue), le docteur Papa Massène Sène (linguiste) et sous l’éclairage du linguiste, professeur Souleymane Faye, ‘Ĩ ndaffa’ n’est pas sérère. Ils sont catégoriques’’.
Il va plus loin. ‘’Il y a deux manières de dire forgeron en sérère : ‘O paal’ et ‘O tafax’. On dit ‘O paal wurus’ ou ‘xaliss’ pour désigner le bijoutier orfèvre, en le distinguant de ‘O tafax’ qui travaille le fer. C’est ce deuxième terme qui nous intéresse ici. Le substantif ‘tafax’ vient du verbe ‘daffax’ qui signifie forger. Le ‘Ĩ’ de ‘Ĩ ndaffa’, qui est la marque du pluriel, nous indique qu’il s’agit bien du sérère sinig-mbey, qui est le sérère référentiel’’, a-t-il déclaré pour étayer ses propos.
Eu égard à cela, il est d’avis que ‘’si le thème de la biennale est ‘Forger’, il faut juste dire ‘Daffax’. Si l’idée est d’inviter à ‘forger’ à la première personne du pluriel (nous) ‘Ĩ Ndaffax’ pourrait convenir pour signifier ‘forgeons’ ou bien ‘nous forgeons’. L’absence du phonème ‘x’ est donc une déformation qui fait de ‘Ĩ Ndaffa’ un néologisme dénué de sens en sérère sinig-mbey’’.
Par conséquent, ‘’non seulement il y a un problème sémantique et syntaxique, mais le verbe ‘Ĩ ndaffa’ n’existe pas en sérère et le texte présente des incohérences dans le fond. La biennale doit donc rectifier et rajouter un ‘x’ à ‘Ĩ Ndaffa’, pour donner un sens au verbe. Il n’est pas trop tard pour changer. Je ne connais pas le directeur artistique qui a écrit la note conceptuelle, je lui aurais écrit directement. Je suppose qu’il n’est pas sénégalais, car il aurait dû demander l’expertise des linguistes du Sénégal. Et même s’il est étranger, puisqu’il veut utiliser une langue du pays, il devait collaborer avec des nationaux pour écrire le texte’’, a-t-il proposé.
Pour l’instant, le nom du directeur ou de la directrice artistique de l’édition 2020 n’est pas connu. Seule la thématique qu’il ou elle a choisi est dévoilée pour le moment.
Par ailleurs, au-delà de l’aspect linguistique, le Pr. Babacar Mbaye Diop s’est intéressé au sens du thème choisi. Pour lui, il ‘’renvoie à l’acte fondateur de la création africaine, lequel nourrit la diversité des créativités contemporaines africaines, tout en projetant de nouvelles manières de raconter et d’appréhender l’Afrique’’.
Aussi, considère-t-il, forger est ‘’un verbe qui dénote la dynamique et l’action de créer, de recréer et de malaxer. Il renvoie ainsi à la forge qui transforme et au gisement d’où provient la matière première et au feu qui crée. Forger consacre l’acte de transformer une ou des matières portées à incandescence dans un feu, afin de créer de nouvelles formes, textures et matérialités et, par ce geste, un monde nouveau’’.