Invité à sacrifier au rite de la Danse des Mots chez Yvan Amar, Mohamed Mbougar Sarr, parlant de Silence du Chœur paru en Juillet, Chez Présence Africaine, reconnait l’importance du paratexte dans la compréhension d’une œuvre littéraire.
Le romancier sénégalais a un goût prononcé pour le bon mot, de la belle homophonie que l’on retrouve dans ses deux livres Terre Ceinte et Silence du Chœur. La force de cet auteur se trouve sans doute d’une part dans l’élan programmatique qu’il assigne à ses textes et d’autre part dans le coup de fouet qu’il donne au langage. Avant d’aller plus loin dans l’explication, définissons pour les non-initiés le terme évoqué plus haut : le paratexte.
- Le paratexte est une notion de théorie littéraire définie par Gérard Genette dans son ouvrage Palimpseste puis largement éclairé dans son livre Seuils paru en 1987 (je n’étais pas encore né). Le paratexte regroupe les éléments qui gravitent autour du texte sans être le texte. Il s’agit de la quatrième de couverture, des dédicaces, des notes de bas de pages, les titres, les sous-titres…
- Le paratexte se compose de deux notions essentielles que sont : le péritexte et l’épitexte.
- Le péritexte se trouvant à l’intérieur du livre contient : la préface, les épigraphes, les notes de bas de pages, la dédicace, les renvois, le titre de l’œuvre, la quatrième de couverture.
- L’épitexte se trouve autour et à l’extérieur du livre.
Silence du chœur qui est le titre de l’œuvre est donc un élément du péritexte. Cependant, que pouvons-nous ou que devons-nous comprendre par ce titre du jeune romancier sénégalais ? La critique littéraire, jusqu’ici, a accordé une place subsidiaire à l’herméneutique que nous devions faire sur le titre de l’œuvre. Les média, comme à leur habitude, s’empressent à entrer dans le vif du sujet en feignant de s’arrêter sur le titre. Il est arrivé quelquefois, par le peu de talent de ceux qui présentent le livre sur les plateaux télés, d’évoquer la dimension chorale du livre en séparant les termes du titre pour tenter d’expliquer l’œuvre. Si cette méthode parait très peu élucidant, la diégèse du livre sert de bon prétexte pour y arriver. Je ferai abstraction du résumé du livre et j’ose espérer que je serai pardonné pour cette démarche.
Pour ma part, Silence du Chœur est un des romans africains où la question de l’existence, du sens que nous donnons à l’existence est posé non pas par le ou les narrateur (s), non pas par l’écrivain qui depuis l’époque classique est marqué par une omniscience, mais par les migrants qui tentent de donner un sens à leur vie en traversant tout le désert du Sahara, tous les risques pour se retrouver à Altino, en Sicile. Silence du Chœur est le roman africain qui tente de reprendre la philosophie de l’absurde tant cher à Albert Camus. Le Silence qui vient du latin Silere ne veut point dire l’absence de parole, d’échos, de sons ou de bruit. Il est comme nous le clarifie la philosophe Marylin Maeso « l’absence de sons signifiants ». L’absurde, selon Albert Camus, nait « de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde parce que toute la conséquence d’une vie peut y naître ». Silence du chœur est l’appel des migrants à une vie meilleure rêvée en terre étrangère, le temps d’une lassitude, d’une espérance qui s’émousse à cause d’une longue attente et la surdité d’un Occident qui se refuse d’« accueillir toute la misère du monde », du bloc qui se dresse pour chasser les envahisseurs. Silence du Chœur cherche à expliquer, à comprendre la confrontation qui existe entre cet appel humain et le silence déraisonnable. Il nous faut garder à l’esprit comme nous le souligne Marylin Maeso, le mot « raisonnable » signifie à la fois : ce que la raison peut comprendre et ce qui résonne. La notion de résonance trouve un écho favorable dans ce second roman de Mouhamed Mbougar Sarr.
Silence du Chœur est ce méli-mélo que l’on entend dans ce théâtre de réception au début, de confrontation au milieu et de destruction à la fin. Le complément du nom « Chœur » du latin Chorus désignant la troupe remplit la fonction d’exécutant du méli-mélo. Il a une fonction assez ironique. L’écrivain conserve la fonction de polyphonie (du grec poly = plusieurs et phone = son) qu’exécute le chœur pour jouer sur la structure du récit et ses péripéties.
De plus, toutes les caractéristiques de la philosophie de l’absurde évoquée, de celle qui tente de cerner la question du bonheur, de l’existence, sont présentes dans ce livre. En prenant pour prétexte la problématique de la migration, en réinvestissant et en réinventant l’absurde, Silence du Chœur étale la dimension de l’homme révolté (cette révolte que porte non seulement le camp de Maurizio Mangialepre, les ragazzi conduits par Salomon, l’Association Santa Marta, Athéna qui entre dans la danse comme au déluge de Noé, les conflits dans la traduction, la révolte du poète Fantini). Elle porte aussi la question de l’exil/ du royaume et celle de la révolte/consentement. Marquons un arrêt pour expliciter notre propos.
La révolte dans Silence du Chœur trouve sa racine dans le temps qui coule et flagelle les vanités humaines, dans la longue attente désespérante, dans le lendemain incertain qui ne cesse de se manifester, dans l’angoisse qui règne en maître, dans l’injustice sociale, dans le regard qui nous fait voir notre différence, dans la haine longtemps ensevelie et qui surgit brutalement, dans un nationalisme raciste, dans l’effondrement de l’humanisme…
La révolte pour emprunter les termes de Marylin Maeso, est dans le consentement et le contentement. Les ragazzi en acceptant d’être recueilli par l’association Santa Marta se plient au jeu de cette dernière (attendre les commissions décider de leur sort, apprendre l’italien, attendre…). Le consentement est une forme de dépôt et de légitimation de pouvoir (au sens latin du terme, Imperium) et d’autorité (du latin autoritas) de l’association sur les ragazzis. En consentant aux règles du jeu, ils se contentent d’attendre le verdict qui, très souvent, tarde à tomber ou ne tombe jamais. La révolte dans Silence du Chœur n’est autre que la conjugaison d’une désobéissance aux normes, à une situation figée tant du côté des ragazzi, de la bande de Mangialepre, de l’Association, de Fantini, d’Athéna…
L’absurde qui pose l’équation l’exil /royaume est au cœur de ce roman. Il anime et alimente tous les débats, toutes les thèses défendues, la question de l’odyssée, de l’occupation et du mythe dans ce livre. L’exil pose la question du départ : Pourquoi part-on ? Qu’est-ce qu’être accueilli ?
« C’est se voir offrir autre chose que l’hospitalité. C’est égoïste, peut-être. Manger et avoir un toit sont deux choses importantes. Vitales. Mais pas essentielles. Ça ne suffit pas. Les hommes, tous les hommes ont besoin de raison de vivre plus profondes » répond Jogoy, ancien ragazzi.
L’exil convoque la nostalgie du royaume. Dans le livre, c’est Fousseyni qui se charge de la traiter. Il pose le regard que les autres portent sur nous, sur le sens d’une vie sans le matériel, réfléchit sur la réussite, la notion de sacrifice et de dépouillement. L’exil est en fin de compte une révolte intérieure de celui qui veut transformer son quotidien, de celui qui rêve grand. L’exil c’est cet être condamné à n’avoir plus de passé, à vivre un présent douloureux et à espérer un futur anxieux. L’écrivain Marek Halter le dit mieux que moi « le réel exil commence lorsque le présent est confisqué. Quand on est condamné à rêver le temps d’avant et attendre l’avenir ».
Le royaume, espace originel, accorde une réflexion sur les motivations de départ. Il interroge les possibilités d’épanouissement de ce lieu, la responsabilité de chacun (Fousseyni tente d’échapper à la mort, Bemba renonce à sa vie d’avant pour se lancer dans une aventure, Salomon en veut à Boko Haram qui a tué toute sa famille), la question de l’amour, de la terre…
Silence du Chœur de Mohamed Mbougar Sarr est le roman sans doute des jeunes auteurs africains qui tente de comprendre le phénomène migratoire en évaluant les silences du monde non pas dans l’absence de sons mais dans la compréhension des sons signifiants.
L’œuvre, sans verser dans la prise de position, d’accusation, explique les positions des uns sans rejeter celles des autres. Elle confronte les différentes positions afin d’ouvrir les possibles de débat sans passion. Elle interroge la responsabilité des uns et des autres et tente de connaître un phénomène aussi vieux que l’activité d’écriture : la migration. L’absurde est le moyen choisi par l’auteur pour présenter, expliquer et comprendre le phénomène. Camus en tentant de comprendre le bonheur, la jouissance, l’existence par l’absurde inscrivait la Philosophie dans le roman. Mohamed Mbougar Sarr perpétue une tradition bien vivante en rendant hommage à un grand révolté de la vie dans Silence du Chœur et dans Terre Ceinte.
Strasbourg, le 22 mars 2018
Joseph CORREA
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