Abdoulaye DIALLO alias Le berger de l’ile de N’Gor sera à la bibliothèque de l’université Cheikh Anta DIOP à Dakar du 3 Mai au 2 Juin 2018. Le commissariat de l’exposition sera assuré par le Professeur Magueye KASSE de l’université Cheikh Anta DIOP. Le 2 Mai se tiendra au Terrou bi (salon des princes), à partir de 9h, une table ronde sur le thème : »Quelle humanité pour demain ? » en prélude au VERNISSAGE prévu le 5 Mai à 16h, à la bibliothèque de l’université Cheikh Anta DIOP. Cette exposition était visible en septembre 2017 dans la villa – galerie de l’artiste, sur la 2e plage de l’île de Ngor. Théodora SY SAMBOU y avait fait un tour. Africulturelle reprend ici, cette critique publiée à l’origine dans Sud Quotidien
Jeu de hasard et Jeux de couleurs
Il est fasciné par les chiffres, les opérations mathématiques, les codes et les symboles, et disons que les 9 mois de gestation, le «rivage du futur» comme il dit de façon très poétique, lui font aussi cet effet-là. Ses matériaux ne sont pas très conventionnels, l’huile de palme, le «sang de cactus», les grains de mil, le thé ou le café…Comme dans une cuisine expérimentale. Il aime le jeu, il dit du hasard que c’est son «premier assistant», il a 65 ans, et il s’est lancé dans la peinture à 60 ans. Abdoulaye Diallo, ou «Le berger de l’île de Ngor», expose dans sa villa-galerie, là-bas sur la «2ème plage de Ngor». Allez donc voir !
On y entre, un pas devant l’autre et les pieds nus, comme dans un sanctuaire, ou presque…Pas parce que le maître des lieux est du genre à chipoter, non, ce serait plutôt sa façon à lui de vous mettre à l’aise, dans cette bâtisse rouge brique qui a les pieds dans l’eau, là-bas sur la «2ème plage» de l’île de Ngor. C’est ce que raconte la translucide carte de visite de l’«artiste», Abdoulaye Diallo, que l’étiquette a d’ailleurs l’air de faire sourire, lui qui s’est plus ou moins lancé à l’âge de 60 ans, comme au poker. Son exposition ferait presque songer à l’œuvre d’une vie : il a un souvenir ou un bout d’histoire avec chacune de ses toiles, passe de l’une à l’autre comme s’il papillonnait, avec cette façon qu’il a de se mouvoir, un peu comme s’il dansait une sorte de valse sans conventions, sur le sol de cette galerie improvisée…Où l’on entre surtout pour les beaux yeux de cette toile-là, qui a d’ailleurs prêté son nom à l’expo elle-même («Quelle humanité pour demain ?»), en se jouant plus ou moins de l’intitulé de l’exposition internationale de la toute prochaine Biennale de 2018 : «Une nouvelle humanité».
Abdoulaye Diallo joue le jeu et accepte donc de nous introduire, jusqu’à la pièce maîtresse de son expo, avec l’air de scruter le monde derrière sa petite paire de lunettes rondes à la «Salvador Dali».
A elle seule, l’œuvre («7, 9m de long et 2, 45m de large»), qui fait parfois songer à un mur craquelé, fissuré, exprime la soupçonneuse lecture d’un artiste inquiet, qui a un discours sur un millier de choses à la fois, et autant de tiroirs ouverts, qu’il ne cherche même pas à contrôler. Car avec lui, on a le sentiment d’être face à une sorte de brainstorming permanent. Une suspicion contre certaines (fumeuses ?) théories, qui voudraient que l’urine ait des vertus insoupçonnées, un discours radicalement contre la pédophilie, superposé à une représentation animalisée de terroristes à ceinture d’explosifs : une meute de loups, ou presque.
L’artiste se sert justement de ce procédé, l’animalisation, pour exprimer l’ambivalence de certains de ses personnages. Exemple avec cette toile intitulée «Les Demoiselles de Khou Roum Bouki» comme «Les Demoiselles d’Avignon» (1907) de Pablo Picasso. Dans l’une comme dans l’autre, une histoire faite de prostitution et de maladie, mais avec moins de «brutalité expressive» dans l’œuvre de Abdoulaye Diallo.
Des codes et des symboles, des chiffres et des lettres
«Kkou Roum Bouki», comme l’autre nom de cette «vallée des années 1940», «entre Pikine et Thiaroye», qui servait de repère aux hyènes, jusqu’à ce que «l’homme finisse par y remplacer l’animal», ou jusqu’à ce que l’animal cède la place à de «petits voyous» qui s’en prenaient alors à de pauvres jeunes femmes sans défense, violées qu’elles étaient par ces malfrats chez qui elles retournaient comme si elles n’avaient «pas d’autre choix», et avec sur le dos, le «poids de la honte». C’est cette douloureuse histoire que raconte l’artiste, mais avec délicatesse et subtilité, se contentant de suggérer, même si les silhouettes sont nues, d’un trait qui a pourtant l’air de se retenir ; peut-être par respect pour les victimes. Pendant que les bourreaux, dans cette représentation volontairement à charge, sont des personnages hybrides à tête d’hyène.
Arguments à l’appui, Abdoulaye Diallo passe aux aveux : «J’aime la Femme», une confidence presque philosophique, qui s’accroche à cette fascination que l’artiste a pour les 9 mois de gestation, le mystère de la vie ou le «rivage du futur», comme il dit de façon très poétique.
Idem pour les chiffres, qui lui font aussi cet effet-là, à lui le «talibé tidiane», passionné de «numérologie islamique» et de mathématiques, et dont les œuvres elles-mêmes sont pleines de chiffres, d’opérations mathématiques, de références à la science, de codes et de symboles…Comme ce «43», sur cette toile-hommage à Nelson Mandela ; 43, comme les longues années d’apartheid, cette «sombre période d’Afrique du Sud», et «46664», comme le numéro de matricule de Mandela.
Mais allez donc voir par vous-mêmes : vous y trouverez cet hommage-là, aux tirailleurs sénégalais, sa façon à lui de «provoquer Marine Le Pen», la présidente du Front National (FN)…Et peut-être l’entendrez-vous regretter que les seconds tours de nos élections présidentielles ne ressemblent ni plus ni moins qu’à un «gâteau que l’on se partage », ou à une querelle de bêtes sauvages.
Quant à ses matériaux, disons que le peintre n’est pas du genre très conventionnel : l’acrylique, le café, les feuilles de thé à la place des cheveux de ses personnages, Mandela par exemple, l’huile de palme, utilisée la toute «première fois sur une toile représentant la fin d’une cérémonie d’initiation», le «sang de cactus», les grains de mil, etc. Comme dans une cuisine expérimentale.
De la part d’un artiste qui dit du «hasard» que c’est son «premier assistant», l’on n’en attendait pas moins. Un jeu devenu «sérieux», un peintre qui tient comme à un sacerdoce à ses «9 couches» de peinture («Je respecte ce procédé» dit-il), et où les toiles elles-mêmes, que l’on prendrait pour des couvertures de livres, ou pour des affiches de film d’animation, prennent le temps de «sécher pendant plusieurs semaines».
Un bain de soleil et les pieds dans l’eau, là-bas, sur la «2ème plage de Ngor».
Théodora SY SAMBOU