Après ‘’Etude linguistique et sociolinguistique de l’argot dans les textes de rap au Sénégal’’, sorti en 2010, Pr. Mamadou Dramé revient en librairie avec ‘’Parlez-vous hip hop ?’’.
Dans la pratique journalistique, il est fortement déconseillé de faire des titres sous forme interrogative. Heureusement que Pr. Mamadou Dramé, auteur du livre ‘’Parlez-vous hip hop ?’’, publié pour la première fois, cette année, par les éditions Afroquebec, n’est pas journaliste. Il serait dommage qu’il tente de chercher un autre titre. ‘’Parlez-vous hip hop ?’’ sonne comme une interpellation et peut pousser sur le champ à se poser diverses questions et la principale, pour la plupart, serait sans nul doute : le hip hop a-t-il une langue particulière ou, dans ce livre, serait-il question plutôt de langage ?
En journalisme, on aurait dit que ce titre choisi par l’auteur est incitatif. Il donne envie de découvrir le contenu. Pr. Dramé a tout de même précisé, sur la page de couverture, de quoi il parle dans son ouvrage. ‘’Langage de la rue et transgression langagière’’, voilà de quoi il s’agit, dans ce deuxième ouvrage de Mamadou Dramé consacré au hip hop, après la publication de ‘’Etude linguistique et sociolinguistique de l’argot dans les textes de rap au Sénégal’’.
Langage de la rue et transgression langagière
C’est dire donc que ce titulaire d’une thèse de troisième cycle et d’une thèse d’Etat en sciences du langage est en terrain connu. Ce qui se sent d’ailleurs à travers ses écrits, même si, entre les lignes, on mesure toute la sueur versée. Il a dû écouter 36 Cd et cassettes pour illustrer ses propos. Il a cité beaucoup d’auteurs d’ici et d’ailleurs pour argumenter certaines des thèses développées dans cet ouvrage de 220 pages. La variété de ses sources ne signifie pas ici qu’il analyse des textes de hip-hoppeurs au niveau mondial. Il s’intéresse essentiellement à ce qui se fait au Sénégal, de 1988 à disons 2010. Le Pr. Dramé s’est essentiellement intéressé à des textes d’albums sortis entre 1995 et 2000.
La photo de couverture, sans ses tons mauves et bleus sur ces baskets peints, que dis-je, costumisés avec sûrement une bombe aérosol, renseignerait bien sur l’espace géographique concernée. L’auteur a pris la peine, dès les premières pages, de préciser que son analyse ne concerne que le Sénégal. ‘’Le rap qui nous intéresse, c’est celui qui se développe au Sénégal, depuis 1988, et qui intéresse toutes les franges de la population’’, explique le Pr. Dramé dans son avant-propos. Il y explique également son procédé.
Notre intérêt ? Le rap du Sénégal
‘’Dans un premier temps, il est utile de donner un aperçu des considérations théoriques qui sous-tendront l’analyse que nous devrons faire. Ensuite, les données préliminaires permettront d’ancrer le sujet de la recherche dans son contexte et, enfin, nous procéderons à l’analyse de notre corpus’’, précise-t-il.
C’est ainsi qu’après avoir donné quelques informations sur la situation sociodémographique du Sénégal, Pr. Dramé plonge son lecteur dans l’univers du hip hop. Si, dans l’avant-propos, un avant-goût est donné, dans cette partie, il va du général, en retraçant les origines du hip hop né aux Usa, à son arrivée au Sénégal. ‘’Le rap n’a pas connu de difficultés majeures pour s’imposer au Sénégal. Cela s’explique par le fait que cette musique n’est pas apparue en terrain vierge. En effet, le rap présente des ressemblances avec certains genres musicaux du pays. Plusieurs genres qui lui seraient apparentés existent depuis plusieurs générations. Parmi ceux-ci, il y a, entre autres, le ’taasu’, le ’xaxar’ ou le ’bakk’, explique Mamadou Dramé à la page 17 de l’ouvrage.
Différence ‘’Taasu’’ et rap
Une thèse que réfutent beaucoup de rappeurs. Ils n’ont pas tout à fait tort, semble dire le Pr. Dramé, qui cite le batteur de Baba Maal, Alioune Diouf, qui explique que ‘’le ‘tassu’ est basé sur un rythme ternaire, contrairement au rap qui fonctionne sur un rythme quaternaire’’. Aussi, ceux qui font du ‘’tassu’’ n’ont pas les mêmes préoccupations artistiques que les rappeurs. ‘’Le rappeur critique et interpelle les consciences’’, lit-on à la page 19. ‘’Il est dit que l’objectif du rap est de dénoncer tout ce qui est susceptible d’être dénoncé’’, ajoute-t-il à la page 28. Il ne le fait pas tendrement. Il use et passe par diverses techniques langagières qu’analyse dans ‘’Parlez-vous hip hop ?’’ le Pr. Mamadou Dramé, et cela qu’on fasse du rap cool ou du rap hardcore, les deux groupes identifiés au Sénégal par l’auteur.
Dans son travail, le Pr. Dramé soutient que les rappeurs usent de différentes figures de style, ce qui donnerait raison à ceux qui disent que le rap date des années 1950, avec des poètes, comme le reprend l’auteur. Il démontre, à travers des vers ou partitions empruntées à des textes de rap, l’usage de certains procédés. Il est question, dans ce qu’il propose, d’emprunts, de verlanisation, de références empruntées soit à des films ou à des évènements. Il analyse le vocatif, décèle et expose des néologies et de la créativité langagière. Les rappeurs puisent également dans le wolof ancien, comme dans des discours ou textes déjà existants ou utilisent des proverbes. Ils n’hésitent pas, par ailleurs, à faire de l’ironie (Xuman serait le maitre dans ce genre, selon Pr. Dramé) ou même de la théâtralisation.
‘’Langage de la rue’’ codé
Les obscénités et gros mots sont également présents dans les textes de rap. Ils font parler leur imagination et se créent des fois des espaces ou personnages. Ce que l’auteur appel l’imaginaire linguistique. Il évoque d’autres procédés linguistiques intéressants qui valent le coup d’acheter le livre pour les découvrir et connaître les code de ce ‘’langage de la rue’’.
‘’Il est reconnu qu’aucun type de langage ne se crée ex-nihilo, mais que tous les langages obéissent à des motivations propres aux locuteurs qui en font usage’’, explique à cet effet l’auteur à la page 201. Vous pourrez donc aisément comprendre peut-être, après lecture, les injures ou gros mots utilisés dans les textes de rap ou encore ce que Mamadou Dramé appelle le paradoxe noté dans le comportement des rappeurs face aux religieux.
Il rappent, en usant des langues nationales sénégalaises, du français et de l’anglais. Les thématiques sont tout autant diversifiées.
Parlez-vous hip hop ?, Parlez-vous rap ?, avait-on envie de dire, après avoir lu la dernière ligne du livre. Certains voient à travers le hip hop plus que le rap et dans ce livre, même si Pr. Dramé défend que le rap est le hip hop, certains pourraient lui opposer des arguments contradictoires.
BIGUE BOB