« L’éclair est l’illumination soudaine, la venue d’une réalité qui sera sans concurrente ».
René Char
Un vent doux, un vent d’âmes en émouvance qui souffle en Plein’Art et marque le temps d’être là, dans l’instant au musée archéologique et historique tout en respirant l’écho d’un plaisir incrusté dans ces âmes. Un plaisir de découverte d’images de paysage à travers des visages des temps qui lancent des moments vibrants et offrent un monde mouvant. Arrêtez tout et regardez ces images de l’éclair qui éclairent l’univers sous des visages divers. C’est dans les jeux de regard, de couleur, de reflet, d’ombre et de lumière que ces visages font jaillir l’éclair, la soudaine conjonction de ce qui est à la fois adverse et attirant.
Plein’Art Emouvance
C’est dans le cadre de la première édition du festival du patrimoine qu’une lumière éclatée en pleine vibration illumine le paysage et la ville. Cette lumière est issue d’une énergie collective qui marque le départ sans retard à la valorisation des métiers d’art et du patrimoine culturel de la ville de Sousse. « Plein’Art Émouvance » reprend la clé, ouvre la porte au métier à l’occasion de ce festival qui se déroule dans cette ville, en Tunisie du 14 au 21 décembre 2019. Une manifestation culturelle et artistique qui s’attache à valoriser de manière originale le riche patrimoine de la ville de Sousse, établissant un dialogue entre l’architecture et les différentes expositions, les pièces de théâtre, les spectacles de musique, les fresques, ainsi que les installations adaptées à l’esprit des lieux.
La relation entre le lieu, l’espace, le mouvement et la dimension du temps aboutit à la réalisation d’une installation particulière nommée « Visages de l’éclair ». En d’autres termes, l’espace et le temps vibrent ensemble pour créer une réalité artistique mouvante, voire vibrante portant sur l’Éclair à travers l’épaisseur de la présence d’une autre réalité. La force et la richesse de ce patrimoine nous est offert au musée de Sousse, lieu de la présentation de notre pratique artistique qui évoque la question du tissage d’un paysage selon les expressions des visages à travers les supports suivants : l’installation, le mapping vidéo et la photographie. Cette installation présentée retranscrit la corrélation entre les éléments et les émotions que la vision d’un paysage peut susciter en nous. Une matière-émotion qui s’inscrit dans les images de l’éclair offrant des apparitions légères de couleur et de lumière à chaque nouveau regard. Le paysage et le visage se croisent et s’entrecroisent entre les fils de trame, semblables à un paysage-visage qui conduit à une nouvelle lecture et une nouvelle fenêtre ouverte sur la réalité extérieure.
E-Mouvoir
Cette installation met l’accent sur le paysage extérieur et intérieur et centrant l’attention sur le patrimoine matériel comme le musée sans oublier pour autant le patrimoine immatériel tels que le métier du tissage et le savoir-faire. Tisser, re-tisser et entretisser des fils de soie et de lumière pour engendrer des échanges de regard et nouer des liens transparents dans le tissu architectural. « Plein’Art Émouvance » tend à tisser l’éclair par la lumière et rendre présent « l’acte de faire » et en faire présent. Ainsi, oser de tisser autrement et différemment conduit à affronter l’imprévu, le mystère et permet de se positionner en observateur émerveillé. « Un bon récepteur est celui qui se laisse, certes affecter par l’œuvre, É-MOUVOIR par elle (…) », écrit Malfroy. Comment la technique du tissage a permis de créer des ambiances plastiques et visuelles dans un esprit de l’art dit au contemporain ? Qu’entend-on par tissage des visages de l’éclair ?
On peut considérer sans hésitation que le tissage devient aujourd’hui un médium artistique et un moyen de repenser l’espace où s’alternent le vide et le plein, la matière et la couleur, le permanent et l’impermanent, bref le mouvant et l’immobilité.
En « Plein’Art Émouvance« , il y a cette volonté et ce désir de changement de la technique du tissage, afin de la situer dans la « contemporanéité » à travers l’installation, la projection vidéo, l’acte de faire et le concept de l’éclair. Lune après jour, se rencontrent deux mondes en s’inspirant du lien fort entre le tissage et l’architecture qui réclament une structure et l’idée que toute création découle des richesses de la réalité qui est elle-même structure. L’installation de ces visages mêle deux mondes où se dégage un aspect vibrant et atemporel. Chaque visage joue le rôle de transmetteur de l’éclair. « L’éclair, je le vois apparemment là-bas, maintenant. Le là-bas renvoie à l’espace et le maintenant renvoie à la possibilité de définir un temps (…) », dit Bernard Guy. Comment la vision de l’éclair nous permet de croire que l’on peut séparer le temps et l’espace à travers le tissage des fils de soie et de la lumière ? Le fil lumineux qui se projette sur les visages est un maintenant qui ne correspond apparemment à aucun là-bas. À l’encontre des bandes tissées qui sont fixes, le fil lumineux tisse beaucoup plus vite, son voyage est comme instantané. Le tissage plastique et visuel permet de sensibiliser le spectateur à la notion du temps avec le flux de la vie. Du concept à l’affect, ondulant flux et reflux, matière et lumière, comment le tissage inscrit dans cet esprit dit contemporain peut-il affecter le processus de perception de l’installation.
Entre éclats et lumières
La lumière participe à la construction d’une réalité visuelle unique en suscitant chez celui qui la regarde une émotion. Sa perpétuelle apparition ouvre la voie au dynamisme du tissage et transforme l’aspect des visages, afin de cacher ou dévoiler, agrandir ou réduire les formes. Lorsque l’obscurité de la nuit s’installe, les changements d’intensité et de contraste entre les zones lumineux et les zones ténébreux font percevoir au public un lieu parfois étant limité ou illimité. « La nuit noueuse précède et suit l’éclair », dit René Char. Pour que la lumière soit intense, pour qu’elle soit une révélation, il faut que la nuit soit profonde, riche de possibilités. « Être-au-monde est une belle œuvre d’art qui plonge ses artisans dans la nuit », ajoute Char. Ce qui fascine ce poète ce n’est pas la nuit en soi, c’est l’instant où elle s’ouvre pour laisser passer la lumière en mille éclairs. Le poète vit « dans l’entr’ouvert », « sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et de la lumière » et « à la lisière du concret ». L’éclair est son inspiration poétique, afin que son œuvre s’ouvre dans la nuit comme illumination à travers une parcelle fugitive de la matière-émotion.
Entre éclats et lumières, les membres du « Plein’Art Émouvance » rêvent des nuits étoilées dans l’imaginaire. Sous les étoiles, se projette l’infini d’un mouvement en pointillés dans un silence où les « Visages de l’éclair » tissent et allument nos jours au fil du temps. L’éclat des étoiles n’est pas une lueur stable, le ciel bouge comme une eau vivante, les étoiles apparaissent et disparaissent en frappant notre imagination qui libère la réalité qui nous éclaire. René Char se sent de plus en plus attiré par le jeu des étoiles en écrivant « nous sommes une étincelle à l’origine inconnue qui incendions toujours plus avant », à laquelle nous ajouterons une éclaircie mise en avant, au-devant sur la piste infinie de l’être et dans le tracé fluide de l’instant.
Ikram Ben Brahim[1]
[1] Artiste plasticienne, Enseignante universitaire, Théoricienne de l’art, Docteur en Science et Techniques des Arts, Présidente de l’association « Plein’Art Émouvance », Chercheuse en esthétique et histoire des Arts Plastiques.