Cofinancé par la BBC, Rabi du réalisateur burkinabè Gaston KABORE met l’accent sur la préservation de l’environnement. D’une durée de 62 minutes, cette fiction réalisée en 1992 nous téléporte dans un univers presque féerique où la nature et les animaux occupent une place importante. Nous tirons des enseignements en présence de cette œuvre, mais ces connaissances s’acquièrent-elles aussi facilement ?
Rabi est un jeune garçon qui vit paisiblement aux côtés de sa famille. Mais sa vie bascule lorsque son père ramène à la maison une tortue. L’enfant développe une affection particulière pour cet étrange animal au point de délaisser son apprentissage de forgeron auprès de son père. Néanmoins, cette amitié forgera ce gamin et une nouvelle version de lui naîtra.
Un homme se déplace à vive allure avec son vélo dans des hautes herbes, il s’écroule soudainement au le sol et brise ainsi des canaris qu’il transportait. Il se relève et se saisit, non pas d’un caillou mais d’une petite tortue qu’il a voulu éviter. Cet homme ignore c’est que cet animal, rentré accidentellement dans la vie de sa famille, est un bon présage. Si dans certaines cultures burkinabè, particulièrement dans l’ethnie Moaga, ce genre de rencontre peut être un mauvais présage, dans ce film le constat est différent.
Le savoir existe partout
Le savoir est très complexe, il possède différents visages. N’est-ce pas ce qui a poussé le célèbre philosophe Socrate à affirmer que : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » ? Gaston Kabore décide de nous inscrire à l’école de la vie, différente de celle des classes. Ici nous avons des matières et des coefficients différents. La première matière concerne l’éducation parentale. A travers elle, nous apprenons l’importance du respect et de l’obéissance aux parents. La deuxième est relative à la transmission du savoir de père en fils et de mère en fille. Dans cette fiction, Rabi doit impérativement apprendre le métier de forgeron avec son géniteur Kuilga. Laalé sa sœur, quant à elle se perfectionne en poterie avec sa mère Kudpoko. Aussi, l’apprentissage va au-delà de la confection des canaris, les conseils concernant les menstrues y ont également leur place. Le partage des connaissances intergénérationnelles vient en troisième position.
D’après un proverbe africain : « Un vieux assis voit plus loin qu’un jeune debout », pour dire, que les anciens sont des sources intarissables. Contraint dès le départ par son père à prendre soin et à tenir compagnie au vieux Pusga, Rabi en le côtoyant apprendra à connaitre, à respecter la nature car elle renferme pleins de secrets. Cette relation nous renvoie donc à « Kéita ! L’héritage du griot » du réalisateur burkinabè Dani Kouyate. Comme dans cette œuvre, il est aussi question de transmission du savoir à la nouvelle génération par l’oralité. En outre, se référant à cette célèbre citation dans « Le Cid » de Pierre de Corneille, « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », le réalisateur prouve que même les adultes peuvent apprendre des enfants. Le vieil homme solitaire ne dira pas le contraire, car grâce à son jeune ami, il s’est réconcilié avec son passé, son amour de jeunesse. La dernière matière est celle que la nature elle-même nous enseigne, il faut être initié pour percer ses mystères.
Une éducation silencieuse
La nature nous parle, mais il faut faire preuve d’humilité et se taire pour l’écouter. Nous sommes ainsi témoin à la fin du film de la transmission du plus grand mystère de la vie. Pusga enseigne ceci à Rabi : « Ne borne pas ton savoir au visible, soit attentif aux vibrations de la nature. Elles t’enseigneront ne l’oublie pas. » Cela n’étonne guère du réalisateur car en se basant sur son film « Buud Yam » de Gaston Kabore, nous remarquons que la nature occupe une place importante. « Rabi » est une ode à la vie. Nous contemplons avec fascination les paysages à perte de vue, les danses lentes et suaves des feuilles des arbres et des herbes au gré du vent et nous nous laissons bercer par le son mélodieux des gouttes d’eau de pluie qui tombent au sol. Il faut donc du temps et de la patience pour la cerner car elle est vicieuse, indomptable et réserve bien de surprises.
Par contre, il faut reconnaitre qu’elle est toujours reconnaissante lorsque l’on se montre coopératif. Grâce à sa maturité, le garçon est témoin d’un phénomène invraisemblable, la nature parle notre langage et lui confie un secret. En porte-parole, la tortue nous fait comprendre qu’elle souffre à cause de nos actes égoïstes qui impactent la survie des tortues marines. Nous comprenons alors que le silence est de rigueur pour mieux puiser les connaissances dont elle regorge.
Ce qui fait la force de ce film c’est l’utilisation des gros plans et des silences. Ces ingrédients savamment mélangés permettent de se plonger sans difficulté dans ce voyage à la découverte de mère nature. Aussi, la question du respect de la nature fait écho avec nos valeurs africaines. Par exemple, lorsque le vieil homme lui demande de couper l’écorced’un arbre pour préparer un médicament, le jeune garçon est vite sermonné par ce dernier car il ne s’est pas excusé auprès dudit arbre avant d’effectuer le prélèvement.
Ce film est un enseignement sur l’importance de ce qui nous entoure. Il permet à la fois de veiller à la protection de l’environnement et de garantir notre bien-être. En sus, l’utilisation de la langue « Mooré » permet au public burkinabè de saisir la quintessence du message véhiculé dans cette fiction. Projeté en ouverture du sommet de la Terre en 1992 à Rio, ce film âgé de plus de 20 ans garde toujours sa fraîcheur juvénile d’antan.
Anaïs KERE (Burkina Faso)
NB : Article produit dans le cadre de la 1ère session de la formation en critique d’art organisée par l’Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle – APIC